Les niwakis pour surfer sur la mode orientale
En quelques années, Lionel Deville, installé dans l'Ain, s'est fait connaître sur un marché très confidentiel : les arbres taillés en nuage. Il a choisi de travailler uniquement avec des sujets importés du Japon et issus d'une tradition séculaire.
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Pendant près de trente ans, l'entreprise Bonsaï Charbonnel, située à Collonges (01), à proximité de Genève, s'est spécialisée dans l'importation et la vente de bonsaïs d'intérieur. Ce marché est devenu très concurrentiel dans les années 1990. Au début des années 2000, Bernard Charbonnel découvre au cours d'un voyage au Japon des arbres taillés en nuage, les niwakis, que l'on peut traduire par arbre de jardin ou d'extérieur (voir encadré). Il décide de reconvertir son activité vers ce type de végétaux, mais étant proche de la retraite, il n'a pas le temps de développer ce marché.
Quand Lionel Deville rachète l'entreprise en 2007, elle est en perte de vitesse, avec un stock quasi nul et toute une clientèle à reconquérir. « C'est surtout par rapport aux banques que ce rachat a été déterminant. Sans la notoriété de l'entreprise Bonsaï Charbonnel, dont j'ai conservé le nom, je n'aurais certainement pas pu obtenir le financement souhaité, précise-t-il. Pour démarrer mon activité, j'avais besoin de constituer un stock important, d'où un besoin de financement de plusieurs centaines de milliers d'euros. »
Jusqu'à 140 ans de culture
Les niwakis exigent une durée de culture extrêmement longue : entre seize et vingt ans pour Ilex crenata (houx japonais à petites feuilles crénelées), par exemple, quarante à cinquante ans pour les pins, voire, pour certains sujets exceptionnels, jusqu'à cent quarante ans en pépinière. Les plants mis en vente ont atteint leur taille et leur forme définitives, l'entretien ultérieur ne vise qu'à les maintenir dans leurs proportions. Deux fois par an, Lionel Deville se rend au Japon et prospecte, avec son intermédiaire sur place, entre 50 et 60 pépinières, à la recherche des plus beaux sujets, dans la région d'Osaka, l'île de Kyushu, (réputée pour ses pins et Ilex crenata) ou la région nord de Tokyo. Les cultures de niwakis sont disséminées entre une multitude de petits producteurs, 90 % sont des pépiniéristes ou des paysagistes qui entretiennent quelques dizaines de plantes en dehors de leur production traditionnelle. « Il faut avoir sur place un bon contact pour dénicher ces producteurs et les belles plantes, explique Lionel Deville. Je les sélectionne parfois en fonction d'un cahier des charges prédéfini par mes clients, ou le plus souvent, en fonction de mes goûts personnels. J'arrive relativement bien à cerner les formes qui plairont à ma clientèle. »
Si quantitativement, la production est limitée, le choix des espèces, des tailles et des formes est large. Celles qui rencontrent le plus de succès sont, pour les petits prix (500 à 2 000 euros), les Ilex crenata et les Enkianthus perulatus (la seule espèce caduque) avec leur coloration automnale qui dure plus de deux mois. Pour un budget plus élevé (de 5 000 jusqu'à 23 000 euros, prix public), on trouve le pin blanc du Japon (Pinus pentaphylla), le pin noir du Japon (Pinus thunbergii) ou l'if du Japon Taxus cuspidata. Une fois les plantes réservées, c'est son intermédiaire sur place qui prend le relais. Il assure les formalités administratives et le transport maritime jusqu'en France. Lionel Deville réceptionne les plantes. « Elles voyagent par conteneurs réfrigérés, maintenus à température constante de 4 °C, à 100 % d'humidité, dans le noir complet, et arrivent en France en parfait état. Le transport dure entre cinq et sept semaines, du chargement au Japon à l'arrivée à Collonges en cas de trajet direct, et jusqu'à deux mois en cas d'escales. Les voyages ont généralement lieu entre les mois de janvier et de mars. Certaines années, j'ai importé jusqu'à 7 conteneurs de 40 pieds (12 à 13 m de longueur), soit près de 1 500 plantes toutes tailles confondues. »
Une acclimatation de quelques semaines à plusieurs mois
Au Japon, les plantes sont cultivées en pleine terre et voyagent en motte. Une fois dans l'Ain, elles sont mises en pot (*) ; c'est un des plus gros travaux de l'année. Quelques clients s'occupent eux-mêmes de cette opération et réceptionnent leurs plantes. Puis vient la phase d'acclimatation. Elle dure de quelques semaines à plusieurs mois. « Le Japon a un climat sensiblement proche du nôtre à ceci près que les étés sont chauds et humides. Le climat sec convient peu aux niwakis. Aussi, sauf exception, je ne conseille pas leur implantation au sud de Valence. Elles sont commercialisées dès le printemps suivant, soit quelques mois après leur arrivée. Cette phase d'acclimatation est importante ; elle me permet de garantir une reprise chez les clients proche de 100 %. Pour preuve, sur les 780 sujets vendus l'an passé, seuls cinq n'ont pas repris. » Cette reprise est également dépendante des conditions de préparation au Japon. Elles doivent être cernées en pépinière une à deux années avant la mise en vente pour développer le chevelu racinaire. Il est difficile d'évaluer comment cette opération a été menée. Il faut faire confiance au pépiniériste d'où l'importance de nouer de bons contacts sur place. « Ma clientèle est essentiellement composée de professionnels : paysagistes, pépiniéristes, grossistes. Certains me prennent plus de cent plantes chaque année, plus quelques mairies et clients particuliers. Un client suisse m'a acheté seize pièces, dont quatorze pins pour un jardin terrasse sur un immeuble. La plus grosse partie de la clientèle est située en région parisienne, Alsace, Bretagne, région lyonnaise, Suisse alémanique », poursuit Lionel Deville.
Pour la vente, il travaille aujourd'hui essentiellement par photos : chaque plante est photographiée et mise en ligne sur le site internet de l'entreprise. Ce n'est pas un site de vente mais d'information qui permet au client de faire une première sélection, car vu le prix de chaque sujet, la plupart n'hésitent pas à venir les voir à la pépinière. « C'est ce que je les incite à faire, il est difficile de se faire une idée précise sur une photo. De plus, pour les particuliers, quand ils voient les végétaux, dans 90 % des cas, ils ont un coup de coeur et repartent avec une plante dont le prix se situe largement audessus du budget qu'ils s'étaient fixé. Les livraisons sont assurées en grande partie par mes soins dans un camion bâché et avec une remorque à double essieu. »
Un entretien réduit
Pour chaque plante vendue, Lionel Deville joint une fiche de recommandation qui donne des conseils de plantation, d'entretien et les problèmes phytosanitaires éventuels. « Je conseille de planter les niwakis en isolé, en pleine terre, dans une fosse drainée, remplie d'un mélange composé de tourbe blonde et terre bruyère véritable, enrichi de 15 à 20 % de pouzzolane ou pierre ponce. Les Ilex ou les Taxus peuvent être placés en pot ou jardinière. Dans ce cas, il est nécessaire, tous les trois ou quatre ans, de les sortir du pot, de couper un tiers des racines et de les rempoter comme un bonsaï. Toutefois, Ilex Crenata craint les courants d'air froid s'il est cultivé en pot et son système racinaire est sensible à l'alternance gel et dégel. Lionel Deville en a perdu plusieurs dizaines après la période de gel de février 2012 malgré une protection des pots par de la paille et un voile d'hivernage sur le feuillage identique aux années précédentes. Depuis, il a investi dans un tunnel maintenu hors gel. Les autres espèces supportent parfaitement le froid.
L'entretien se résume à une taille des nouvelles pousses (les chandelles) dès qu'elles atteignent 5 cm, soit 2 ou 3 tailles annuelles pour les pins et seulement 1 pour les autres espèces. Le principal problème phytosanitaire rencontré est l'araignée rouge sur les Ilex crenata Kimme. « En pépinière, je parviens à limiter les attaques grâce à la protection biologique intégrée, avec 2 ou 3 lâchers par an d'Amblyseius californicus, et en maintenant une humidité relative élevée au niveau du feuillage. »
Ces plantes restent confinées à un marché de niche. Leur durée de culture en pépinière ne peut répondre à des modes passagères et la confidentialité de leur production ne saurait satisfaire un marché plus important. Le Japon aurait même tendance à restreindre l'exportation pour préserver cette tradition séculaire sur son territoire et ne pas voir disparaître les plus beaux sujets. L'exportation se fait principalement vers l'Europe, l'importation sur le territoire américain étant interdite pour raisons sanitaires. Si 5 à 6 importateurs sont présents en Italie, Lionel Deville serait le seul importateur direct et a peu de concurrents en France sur ce produit.
Claude Thiery
(*) Mélange : tourbe + terre de bruyère, 15 à 20 % de pouzzolane, enrichi à 4 kg/m3 d'engrais libération lente 8 - 9 mois.
Marché de niche« Je sélectionne le plus souvent les plantes en fonction de mes goûts personnels », souligne Lionel Deville.
Technique sélective
Chamaecyparis obtusa peut également être utilisé pour réaliser des niwakis. Les plantes sont importées du Japon.
Attention
Ilex crenata craint les courants d'air s'il est cultivé en pot. Le système racinaire est sensible à l'alternance gel et dégel.
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